Les Québécois participent de plus en plus à l’économie de seconde main. C’est ce que révèle la deuxième édition de l’Indice Kijiji de l’économie de seconde main, dévoilé le 29 février à Montréal par Kijiji et l’Observatoire ESG UQAM de la consommation responsable. «L’indice provincial a grimpé de 17 points par rapport à l’an dernier, passant de 50 à 67», souligne Fabien Durif, professeur au Département de marketing et directeur de l’Observatoire. Comment explique-t-on ces nouveaux résultats? «Nous remarquons, entre autres, une forte progression du don au Québec, précise le chercheur. Nous observons également que l’économie de seconde main et les questions liées à l’obsolescence programmée ont occupé beaucoup d’espace médiatique au cours des 12 derniers mois, ce qui peut avoir influencé le comportement des Québécois.»
Les données de l’étude 2016 ont été recueillies auprès d’un échantillon de 5 990 répondants à travers le pays durant le mois d’octobre dernier. Outre Fabien Durif, la professeure Manon Arcand, du Département de marketing, Caroline Boivin, professeure à l’Université de Sherbrooke, et Myriam Ertz, doctorante en administration à l’ESG UQAM, ont participé à l’étude. Lindsay Tedds, professeure associée en économie à l’École d’administration publique de l’Université de Victoria, s’est chargé des analyses économiques.
Comme l’an dernier, les chercheurs ont sondé les répondants à propos de deux comportements: le processus d’acquisition de biens d’occasion et le processus d’abandon de biens neufs ou usagés. Ceux-ci peuvent prendre plusieurs formes: don, achat, échange, utilisation gratuite ou facturée, location, prêt. «Les biens les plus couramment échangés sur le marché d’occasion sont de nouveau les vêtements, chaussures et accessoires de mode, les produits de divertissement – lecteurs Blu-ray, DVD, CD, etc. – et les vêtements et accessoires pour bébé», souligne Fabien Durif.
L’étude révèle qu’au cours des 12 derniers mois, les consommateurs canadiens ont prolongé la vie, en moyenne, de 77 objets, une augmentation de 1 point par rapport à l’Indice de l’année précédente. «Même si cette augmentation ne semble pas significative, elle reflète en réalité une hausse importante du nombre de produits échangés dans l’économie de seconde main, explique Fabien Durif. Cela signifie que l’on a accordé une seconde vie à 25 millions de produits supplémentaires par rapport à l’année précédente.»
Montréal au troisième rang
Les habitants des Prairies (87) sont les champions de l’économie de seconde main au pays, suivis par ceux de l’Alberta (82), de la Colombie-Britannique (80) et de l’Ontario (79). Comme pour l’Indice 2015, les pratiques de seconde main sont moins courantes au Québec (67) et dans les Maritimes (60).
Cette année, les chercheurs dévoilent des particularités selon les grandes villes du pays. «La consommation de biens de seconde main n’est pas plus un phénomène urbain que rural, affirme Fabien Durif. Les principales villes du pays obtiennent un indice moyen de 71, ce qui se rapproche de la moyenne nationale (77).»
Bien que la population du Québec semble moins portée à adopter des pratiques de seconde main que la moyenne canadienne, les Montréalais démontrent une plus grande ouverture, se situant à la troisième place parmi les grandes villes (indice de 78), derrière Vancouver (80) et Edmonton (79). La ville de Québec présente pour sa part un indice de 52. «Dans tous nos travaux, les pratiques de consommation responsable sont toujours moindres dans la région de Québec et nous constatons le même phénomène pour l’économie de seconde main», mentionne Fabien Durif.
Il semble que les pratiques de seconde main augmentent à mesure que la taille d’une ville ou d’une municipalité diminue. Il existerait une corrélation négative entre la taille de la ville et la consommation de biens d’occasion, précise le professeur. «Ce n’est guère surprenant. Les habitants des villages n’ont pas attendu l’avènement des friperies ou des plateformes numériques pour échanger des biens. C’est une pratique ancestrale qu’ils ont intériorisée depuis longtemps.»
Des bénéfices pour les consommateurs
L’étude souligne que près de 70 % des Canadiens ont acheté ou vendu des biens de seconde main, une proportion plus élevée que la population active du pays (66 %). «Cela signifie qu’il s’agit désormais d’un phénomène de masse et qu’il n’y a aucun lien entre le pouvoir d’achat plus réduit de certaines personnes et l’utilisation de canaux pour vendre ou acquérir des biens de seconde main, explique Fabien Durif. C’est même le contraire qui se produit! Ce sont les gens plus à l’aise qui se tournent vers l’économie de seconde main, le plus souvent lorsque surviennent dans leur vie des bouleversements conjoncturels: déménagement, changement d’emploi, mariage, arrivée d’un enfant, etc.»
Comme en 2015, les consommateurs canadiens qui ont acquis des biens de seconde main l’ont fait d’abord pour des raisons économiques (77 %), tandis que ceux qui se sont départis de biens l’ont fait principalement pour des raisons pragmatiques (70 %). «En moyenne, chaque Canadien a économisé 480 dollars l’an dernier en achetant des biens de seconde main au lieu de biens neufs, note le chercheur. En moyenne, chacun a vendu pour 883 dollars de biens.»
« En moyenne, chaque Canadien a économisé 480 dollars l’an dernier en achetant des biens de seconde main au lieu de bien neufs.»
FABIEN DURIF
Les achats d’occasion ne remplacent pas simplement l’achat d’articles neufs, soulignent les auteurs de l’étude. «Même si environ la moitié des acheteurs de biens d’occasion ont envisagé d’acheter des produits neufs, seul le tiers des acheteurs auraient fait l’acquisition d’un produit neuf s’ils n’avaient pu l’obtenir d’occasion, explique Fabien Durif. Pour les deux autres tiers, cela représente des achats et de l’activité économique qui n’aurait pas autrement été réalisée sans l’économie de seconde main.»
Ce type d’économie rend donc disponibles des biens désirés à prix abordables. «Les gens à faible et moyen revenus peuvent acquérir des biens qu’ils n’auraient pas pu autrement, poursuit le chercheur. Il y a donc augmentation de leur pouvoir d’achat et une diminution de l’inégalité économique.»
Répercussions économiques pour le pays
La grande majorité des nouveaux biens durables et semi-durables achetés par les consommateurs canadiens sont des biens d’importation. L’achat d’un bien neuf fait donc sortir de l’argent du Canada, explique Fabien Durif. «En prolongeant la durée de vie utile des biens, la consommation de biens d’occasion réduit l’ampleur de ces sorties de fond. La valeur des transactions de l’économie de seconde main s’élève approximativement à 28 milliards de dollars, cela veut dire que des transactions d’environ 19 milliards de dollars n’auraient pas eu lieu sans l’économie de seconde main. Et cette économie soutient environ 300 000 à 325 000 emplois au Canada.»
D’aucuns s’interrogent à savoir si ce type d’économie contribue à l’évasion fiscale. «Ces inquiétudes sont injustifiées, affirme Fabien Durif. La plupart des transactions sont bien en-deçà de l’exemption « petit fournisseur » de 30 000 dollars par année pour la TPS/TVH. De plus, les provinces ayant un système de taxe de vente exemptent les marchandises usagées dont la valeur est inférieure à un seuil défini de façon générale. Par rapport aux impôts, puisque la plupart des marchandises usagées sont vendues à un prix inférieur à leur prix d’achat original, la marchandise est vendue à perte et les revenus ne sont donc pas imposables. L’économie de seconde main n’est donc pas un contributeur significatif à l’économie souterraine.»